2013-02-28

Lecture de février

  •  Stefan Zweig, Le monde d'hier, souvenirs d'un Européen : L'autobiographie de Stefan Zweig (1881-1942) est l'un des livres les plus remarquables que j'aie lus, par son sujet et la qualité de son écriture, et se lit comme un roman. J'ai rêvé que mes grands-parents, qui subirent les deux guerres mondiales, aient écrit de tels mémoires, et j'ai retrouvé dans ce livre des sentiments qu'ils auraient pu éprouver, ayant connu ce "monde d'hier", puis les tragiques tourments du suicide européen du 20e siècle (p. 8, 354, 463). À vrai dire, j'ai du mal à comprendre qu'on ne nous l'ait pas fait lire au lycée, lorsque nous étudiions cette période. On y partage le désarroi d'un homme qui vient d'un monde qui a doublement disparu, englouti par l'histoire, pour le malheur de l'Europe entière, et à qui ne reste plus qu'un "seul bien assuré, le sentiment de liberté intérieure" (p. 24, 453) : de l'empire austro-hongrois des Habsbourg-Lorraine, le "monde de la sécurité", ne subsistait plus qu'une république d'Autriche amputée, elle-même annexée et avilie en 1938 par l'Allemagne nationale-socialiste. La préface annonce déjà cette accélération du rythme de l'histoire, le monde libre et sûr d'hier, entraîné par des progrès merveilleux de la technique et l'émancipation de la femme (3e chapitre), mais cédant sous les coups des "chevaux livides de l'Apocalypse" (p. 11) et la diffusion des idéologies de masse : fascisme, national-socialisme, bolchevisme, nationalisme. Je retiens notamment l'atmosphère de cette Vienne d'avant 1914, dont la maxime était "leben und leben lassen" (p. 41), celle d'un Paris encore insouciant (4e chapitre), puis le vain espoir que la solidarité spirituelle des intellectuels pourrait infléchir les "puissances qui poussaient à la haine" (p. 243), le basculement dans la guerre en 1914, l'échec de la tentative de paix séparée (p. 307), la description du bureau de Romain Rolland (p. 312), la chute de l'empire austro-hongrois (p. 334), le récit saisissant des ravages de l'inflation (p. 341, 366, 444), le bouleversement de l'art (p. 353), la rare description de la méthode d'écriture de l'écrivain par l'auteur lui-même (p. 374), l'interrogation sur le financement du parti nazi (p. 421), la perte irrémédiable de la liberté de circulation (p. 476), de nombreux portraits et rencontres, dont celle de Dali avec Freud (p. 492), et l'aliénation insensée d'être un écrivain de langue allemande, déchu de sa nationalité autrichienne par l'Allemagne, qui le hait et le proscrit en tant que juif, et pourtant assimilé à l'Allemagne ennemie, à laquelle comme Autrichien il n'a jamais appartenu, par les bureaucrates de son pays d'exil (p. 505), la laideur de la guerre, et le point final d'une vie trop remplie, assombrie par l'échec de la "fédération pacifique de l'Europe" (p. 505) à laquelle il avait tant rêvé et travaillé, et dont les germes ne grandiraient qu'après sa mort. France Culture a consacré une émission d'une heure à ce livre : Nostalgie, la passion du passé.



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