2009-09-20

Poivrière Pompadour

Nancy, comme Toul, est dans une vallée, mais dans une belle, large et opulente vallée. La ville a peu d’aspect ; les clochers de la cathédrale sont des poivrières Pompadour. Cependant je me suis réconcilié avec Nancy, d’abord parce que j’y ai dîné, et j’avais grand’faim ; ensuite parce que la place de l’Hôtel-de-Ville est une des places rococo les plus jolies, les plus gaies et les plus complètes que j’aie vues. C’est une décoration fort bien faite et merveilleusement ajustée avec toutes sortes de choses qui sont bien ensemble et qui s’entr’aident pour l’effet ; des fontaines en rocaille, des bosquets d’arbres taillés et façonnés, des grilles de fer épaisses, dorées et ouvragées, une statue du roi Stanislas, un arc de triomphe d’un style tourmenté et amusant, des façades nobles, élégantes, bien liées entre elles et disposées selon des angles intelligents. Le pavé lui-même, fait de cailloux pointus, est à compartiments comme une mosaïque. C’est une place marquise.

J’ai vraiment regretté que le temps me manquât pour voir en détail et à mon aise cette ville toute dans le style de Louis XV. L’architecture du dix-huitième siècle, quand elle est riche, finit par racheter son mauvais goût. Sa fantaisie végète et s’épanouit au sommet des édifices en buissons de fleurs si extravagantes et si touffues, que toute colère s’en va et qu’on s’y acoquine. Dans les climats chauds, à Lisbonne, par exemple, qui est aussi une ville rococo, il semble que le soleil ait agi sur cette végétation de pierre comme sur l’autre végétation. On dirait qu’une sève a circulé dans le granit ; elle s’y est gonflée, s’y est fait jour et jette de toutes parts de prodigieuses branches d’arabesques qui se dressent enflées vers le ciel. Sur les couvents, sur les palais, sur les églises, l’ornement jaillit de partout, à tout propos, avec ou sans prétexte. Il n’y a pas à Lisbonne un seul fronton dont la ligne soit restée tranquille.

Ce qui est remarquable, et ce qui achève d’assimiler l’architecture du dix-huitième siècle à une végétation, j’en faisais encore l’observation à Nancy en côtoyant la cathédrale, c’est que, de même que le tronc des arbres est noir et triste, la partie inférieure des édifices Pompadour est nue, morose, lourde et lugubre. Le rococo a de vilains pieds. J’arrivais à Nancy dimanche à sept heures du soir ; à huit heures la malle repartait.

Victor Hugo (fils du comte Hugo, qui était né à Nancy), Le Rhin, Lettre vingt-neuvième, 1839.

1 commentaire:

François a dit…

Amusant de relire Hugo (Victor) dans son fabuleux récit : Le Rhin.
Ce dénigrement du style Pompadour est très amusant puisqu'il est désormais considéré comme un élégant style classique dit style Louis XV !